Argentine, Brésil, Emma: Une célébration de toutes choses! – Fin 1/2

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Fin novembre passé, mon amie Emma m’a contactée en disant qu’elle était très inspirée par mon voyage et entretenait un peu le rêve de venir me rejoindre, peut-être vers janvier-février. On en a plus reparlé pendant longtemps, le voyage a continué, et début janvier je lui demande ce qu’il en est; les choses étaient très peu certaines (est-ce qu’elle aura des vacances? où veut-elle aller? etc) mais l’envie était restée. Le 27 janvier, Emma réserva son vol, et moins de trois semaines plus tard, le 16 février, je la retrouvais à Buenos Aires! Quelle spontanéité!

Emma

Il est temps de faire les présentations. Emma est l’une de mes rencontres de voyage les plus spéciales, géniales, et durables: alors que je vivais à Jakarta pendant 6 mois, en 2015 et elle y enseignait l’anglais, nous nous sommes rencontrées dans la jungle de Bornéo (Kalimantan, l’un des archipels indonésiens), où chacune d’entre nous avait emmené ses parents, en visite pour les vacances de Noël. On avait déjà pas mal de chance de devenir amies, partant d’une telle base! Nous nous sommes revues plusieurs fois à Jakarta, où nous avons notamment dansé sur des rythmes fous, cuisiné du crumble et peint du batik (tissu traditionnel) à la main. 13 mois plus tard, début 2016, elle est venue passer un week-end à Zurich: plus de grisaille mais toujours autant de joie de vivre. Et puis 13 autres mois ont passé, nous sommes en février 2017 et nous nous retrouvons à l’aéroport de Buenos Aires, pour deux semaines de folie, de rencontres, de couleurs, de musique et de fleurs, que nous avons autant apprécié l’une que l’autre!!!

Buenos Aires – drapeau indigène
Buenos Aires – Tango

On a dormi quelques nuits chez mon pote Rodrigo, rencontré à Mendoza, et il nous a servi de guide de la Buenos Aires plus méconnue des touristes: de nombreuses heures de balades au soleil dans les rues des quartiers beaux mais peu fréquentés, ou à Chinatown, Caballito ou dans des zones où le street art valait le détour. On a adoré! Chez lui, on a organisé un véritable apéro de retrouvailles avec différents amis connus le long du voyage: Gaëtan, mon pote breton connu en Amazonie, et sa pote Emilie, que j’avais revus à El Calafate, Emiliano, connu à Mendoza, et Julián, connu à Santa Cruz en Bolivie. Vraiment génial de revoir les gens comme ça! Les soirées commençant tard à Buenos Aires, nous sommes sortis danser vers 2h du matin pour ne rentrer dormir que lorsque la journée avait déjà commencé; rien d’exceptionnel à cela, c’est le rythme d’une soirée habituelle de week-end…!

Buenos Aires – La Boca
Buenos Aires – La Boca

Pour vous donner une idée des horaires argentins décalés, nous sommes un jour allées manger avec Julián, qui nous servit aussi d’hôte durant ces quelques jours dans la Capitale Fédérale (ainsi l’appellent beaucoup de porteños). Nous sommes entrés dans le restaurant rien de moins qu’à 23h!!! Plutôt anodin, on n’était en fait de loin pas les seuls à manger à cette heure-là. Et c’est tout naturellement qu’ensuite nous sommes sortis nous déhancher sur du rock, pour finir à nouveau à passées 6h du matin. C’est sûr qu’ensuite les horaires se décalent, on déjeune vers 13-14h, part en balade puis dîne vers 17h et n’a pas faim pour le souper avant la fin de la soirée (enfin, ce qui est pour nous la fin de la soirée…!). Vraiment particulier et amusant. Et puis Julián et son pote nous ont offert un joli tour de Buenos Aires nocturne (en voiture), passant par les points principaux, dans la ville tranquille et vide. Joli!

Buenos Aires – La Boca
Buenos Aires

Ayant peu de jours pour inculquer le plus possible de culture argentine à Emma, nous lui avons fait boire des matés et du Fernet (liqueur au goût de médecine, qui se mélange avec du Coca Cola, ce qui n’améliore pas l’impression d’avaler un médicament… personnellement je n’aime pas, mais c’est LA boisson alcoolisée argentine), manger des empanadas, goûter du Dulce de Leche (ce qu’on appelle en français confiture de lait, plus ou moins du caramel à tartiner, à se damner), et bien entendu on lui a enseigné des grossièretés typiquement argentines en espagnol. Autant dire que les chauffeurs de bus et autres amis improvisés éclataient de rire quand Emma, souriante, à l’air naïf, et délicieusement agressive envers ce Trump à l’argentine, traitait l’extrêmement impopulaire président de noms d’oiseaux locaux (oui oui, elle savait ce qu’elle disait). Nous avons aussi goûté près d’une glace par jour, obligées que nous étions de le faire de par les origines très italiennes de la ville et du pays. Tant de glaces durant notre séjour ensemble!

Buenos Aires
Buenos Aires

Nous avons fait le passage obligé par le Caminito, dans le quartier autrement réputé dangereux de la Boca. Il s’agit d’une ruelle dont le tango et le tourisme sont devenus les éléments phares. On y va parce que tout le monde y va (ce qui n’est pas tant pour me plaire), mais aussi et surtout pour l’attrait esthétique de la rue: tout y est coloré, et si vous avez déjà vu une photo de Buenos Aires il y a fort à parier que ce soit une photo de là-bas. Les danseurs et musiciens de tango remplissent la rue, ainsi que les vendeurs de souvenirs et d’un peu d’artisanat, l’ambiance est sympathique mais sérieusement un peu étouffante de touristes et de restaurants.

Buenos Aires – Tango
San Telmo

C’est pourquoi, après avoir aussi un peu exploré les rues alentour, nous avons continué notre découverte un peu plus poussée de la ville en allant nous poser dans un parc fréquenté surtout par des Argentins buvant du maté. Nous y avons observé le coucher de soleil en rattrapant le temps perdu et en nous racontant toutes les histoires qu’on avait manquées l’une de l’autre. Beaux moments de partage et de proximité, c’est touchant de voir comme les liens se créent et se renforcent avec le temps, comme les gens peuvent être importants même si on se voit peu, et comme on peut se comprendre, en dépit des différences culturelles, quand on partage des valeurs et une vision du monde, ainsi qu’un enthousiaste appétit de vivre et de savourer le bonheur à pleines dents.

Buenos Aires

Nous passâmes notre dimanche en balade dans le charmant et pittoresque marché traditionnel et d’artisanat de San Telmo, l’un des quartiers de BA qui me plaît le plus. Vêtements, antiquités, choses à grignoter, travaux d’artisans de toutes sortes, musique live par des groupes dans la rue (du rap/reggae d’inspiration Afro au violoncelle électrique accompagné d’accordéon et de guitare sèche), nous étions fascinées par la taille du marché qui serpente à travers les longues rues du quartier et par la variété de surprises qu’avaient à offrir les stands baignés par le soleil. On a dû se retenir pour ne pas tout acheter! A vrai dire, durant les deux semaines qu’on a passées ensemble, on a craqué principalement sur 1) des glaces, et 2) des boucles d’oreille (un bracelet une fois, aussi). Disons que, plus ou moins, chacune qu’une d’entre nous s’achetait une paire, l’autre ne résistait pas à prendre une paire cousine ou jumelle, comme si on était des gamines de 14 ans!

Buenos Aires écrit en style « fileteado », typique de la ville

Notre dernière journée à BA fut dédiée à une longue chasse aux graffitis. Mais attention, pas n’importe lequel: une tortue géante que mon ami tessinois Emmanuel avait repérée près de 2 ans plus tôt, quand il avait voyagé de par le continent. Il m’avait expliqué que le quartier dans lequel cette oeuvre du fameux street artiste Martin Ron fut peinte, Barraca, était si dangereux qu’il n’avait pas pu trouver de chauffeur de taxi pouvant l’y emmener et avait dû convaincre des amis d’y aller en voiture. Quant à nous, accompagnées comme on l’était par Rodrigo, qui y avait vécu, nous avons simplement dû prendre le bus et nous balader un peu dans la chaleur de l’été argentin (très chaud! on adoooore!) pour trouver cette rue relativement isolée et méconnue. Quelle quantité de petits et grands chefs d’oeuvre, couleurs virevoltantes et créativité débordante! Et on a aussi fini par trouver notre super tortue (voir photo). Un spectacle visuel qu’on est pas prêtes d’oublier, à la suite duquel la journée se termina par un concert d’une quinzaine de percussions plein d’énergie, de danse et de folie de la Bomba del Tiempo, au centre culturel Konex. Génial!

Buenos Aires

Le jour suivant, nous fîmes du bus notre nouvelle maison, y amenant un pique-nique suffisant à nourrir probablement 5 personnes (prévoyantes et gourmandes, difficile de nous réguler quand on fait les courses ensemble!). En effet, le trajet jusqu’à Puerto Iguaçu devait durer 17h , où nous avons mangé, dormi, regardé de mauvais films, admiré un splendide coucher de soleil, parlé, parlé et encore parlé… ça m’a changé des trajets de bus solitaires auxquels je m’étais habituée tous ces mois! On a traversé la plate Pampa et ses troupeaux de bovins paissant dans les prés, puis, remontant le long de la frontière avec l’Uruguay, les paysages ont changé pour une végétation plus luxurieuse et une terre rouge et ocre. Evidemment, le voyage dura bien plus que prévu, et les 17h se changèrent en 20h… heureusement que nous n’étions pas pressées. J’avais une fois lu une présentation du pays, que j’ai toujours gardée en tête et appliquée: « Ralentis, accepte le temps comme quelque chose de fluide et ainsi tu profiteras vraiment de l’Argentine ». Combien de fois je me serai répété « le temps est un fluide » et aurai simplement accepté de ramollir un peu les exigences obtuses de mes suisses habitudes! Et ainsi, vraiment, j’ai su profiter de l’Argentine.

Trajet vers Iguazu

En voyage, il se passe toujours des choses un peu inattendues. On peut être aussi prévoyant que l’on veut, il y a des situations auxquelles on ne peut simplement pas penser, car elles sont un peu inimaginables. Chacun se confronte à des problèmes ou événements différents, et chacun en tire ses conclusions personnelles, qui modifient sa propre manière de voyager et les conseils que l’on se donne parmi. L’une de ces choses imprévues fut le fait que le village dans lequel nous sommes arrivées était complètement coupé d’internet à cause d’un orage la veille. Bon, ok, pas de communication avec l’extérieur (ni internet, ni réseau mobile, ni téléphones, rien), pas si grave. Pas possible pour l’hôtel de vérifier si on a bien réservé, donc ils font confiance et refusent de nouveaux clients en attendant que la connexion se rétablisse, ok. Jusque-là pas si problématique.

District de Misiones

Par contre, au moment d’aller retirer l’argent nécessaire pour aller visiter les légendaires chutes d’Iguaçu, impossible d’utiliser les bancomats! Et les gens au guichet n’étaient pas plus utiles. Là, on a compris notre dépendance à tous par rapport à internet, et avons dû improviser. Un bain de soleil, une balade dans la ville avec les propriétaires de l’hôtel qui, pour nous distraire, nous ont emmenées à une terrasse d’où l’on voit trois pays à la fois: Argentine (où nous étions), Brésil (notre destination suivante) et Paraguay. Ensuite, ils nous ont montré une petite cascade cachée au bas de laquelle nous nous sommes baignés, malgré le gris du ciel. Nous avons partagé quelques repas, dont un inévitable asado arrosé de bon vin rouge. Et là je me dois de citer ce que l’un d’entre eux a dit à mon sujet à la fin de la journée: « tu manges tellement que ça coûterait moins cher de sortir en boîte que de t’emmener manger! » ….voila voila. Quand je vous dis que je savoure la vie…!

Chutes d’Iguazu
Chutes d’Iguazu

Le lendemain, nous avons enfin pu aller découvrir les merveilleuses et si attendues chutes d’Iguaçu. Elles étaient ma dernière grosse priorité du voyage, dont je disais depuis avant de partir que c’était la chose que je ne pouvais pas manquer et voulais absolument visiter. Ce sont des chutes d’eaux absolument énormes, partagées entre le territoire brésilien (environ 10% des chutes mais des vues panoramiques fantastiques) et argentin (environ 90%, de bien plus près). Un autre des cadeaux de la nature… Essayons de vous donner une idée de l’ampleur de la chose: 275 cascades sur 3km de rivière et tombant d’une falaise de 80m, à une puissance annuelle moyenne de 1,746m3/s (la 6e moyenne la plus importante au monde, avec un maximum de 45,700 m3/s enregistré en 2014). C’est le système de chutes d’eau le plus grand au monde, il a été déclaré patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, et Eléonore Roosevelt se serait apparemment exclamé à son sujet: « Pauvre Niagara! » (qui est un tiers plus court, à 50m de hauteur).

Chutes d’Iguazu
Chutes d’Iguazu

Il faisait gris, ce jour-là, mais les multiples cascades n’en étaient pas moins impressionnantes. Ce fut une balade d’une journée entière, qui pour bien faire mériterait carrément deux jours. On s’approche de certaines chutes de si près qu’on en ressort complètement trempé, ce qui fit la joie des deux petites filles qui vivent en nous, et on marche à travers la forêt aux airs d’Amazonie avec les coaties, de mignons petits animaux voleurs de sandwichs, de la famille du raton-laveur. On a aussi décidé de se baigner dans un des bassins en contrebas d’une cascade à 20min de marche de l’ensemble du site, où personne ne passait, et malgré le signe l’interdisant. Jusqu’au moment où on est venu nous gronder, c’était très rafraîchissant et rigolo! Et on ne regrette pas la remontrance officielle, mais chut, dites-le pas à mes parents…

Chutes d’Iguazu – la baignade interdite
Iguazu – coatie

Généralement, Emma a adopté la philosophie que j’ai suivi durant mon voyage: suivre la « onda » (la vague, l’onde). C’est-à-dire, on accepte ce qui se présente à nous et on s’y adapte, plutôt que tenter de déterminer et décider comment les choses doivent se passer. C’était agréable, parce qu’ainsi on ne se prend pas la tête, et ça laisse beaucoup de place au voyage lui-même pour choisir ce qu’il a à nous offrir. On a aussi compris que notre intuition ne nous avait pas trompées: nous faisons d’excellentes compagnes de voyage l’une pour l’autre! Nous n’avons pas vécu la moindre tension, avions tendance à finir les phrases l’une de l’autre et à avoir les mêmes envies aux mêmes moments (quand se poser, que manger, où aller, s’arrêter pour une photo…). Ce furent vraiment deux superbes semaines que nous avons passées ensemble.

Chutes d’Iguazu
Chutes d’Iguazu
Chutes d’Iguazu

Après ce zoom rapproché que nous permît le côté argentin des chutes, nous avons eu la chance du beau temps pour le côté brésilien, qui est celui qui les nécessite vraiment le plus! C’est une balade bien plus courte mais absolument spectaculaire que celle qu’offre l’Iguaçu lusophone. La chaleur des rayons de soleil nous incita à nous payer la relativement chère noix de coco (le Brésil touristique n’est vraiment pas très économique) pour en savourer l’eau tout en découvrant les paysages pittoresques que nous étions venues admirer, et nous avons même eu droit à quelques singes se déplaçant sur les branches des arbres, dont une maman et son petit. Difficile d’en dire beaucoup plus sur la beauté des lieux à part en vous incitant à observer les photos et films…

L’un de nos objectifs du jour, souhaitant profiter de la lumière du soleil qui manquait la veille, était d’observer l’un des arcs-en-ciel constants, typiques des chutes d’Iguaçu. Et non seulement nous avons pu en trouver un, mais nous avons même découvert que, sous les bonnes conditions d’humidité et de lumière, un arc-en-ciel peut décrire un cercle entier! (cela devient donc un  genre de « cercle-en-ciel ») Très, très fou à voir, comme ça, en direct et de nos propres yeux! Cela signifie aussi que nous n’avons évidemment pas évité la douche totale, mais on ne cherchait bien sûr pas vraiment à être épargnées non plus… et puis ce serait impossible! Prendre le petit chemin de bois menant au pied de telles chutes d’eau (ou, la veille, juste au sommet d’où la cascade part) que l’une d’elles s’appelle la Garganta del Diablo (Gorge du Diable), signifie avoir accepté un humide destin. Une journée colorée du vert de la végétation explosant de toutes parts, du bleu des rivières, du blanc des cascades, et de nos sourires enchantés.

Chutes d’Iguazu
Mauvaise photo d’un presque cercle-en-ciel
Chutes d’Iguazu

Après Iguaçu, de nouvelles nombreuses heures de bus nous amenèrent à São Paulo! Sacré changement pour moi, après des mois d’espagnol à me sentir un peu « chez moi » partout, parce que la communication était évidente avec tout le monde, de soudain me sentir comme une étrangère et une touriste, parce que je ne comprenais plus tout de ce qu’on me disait (enfin, jusqu’à un certain point, oui, mais tout de même). On a laissé nos affaires à la gare et passé une première journée à nous balader dans le centre, malheureusement pas très ragoûtant (assez vide de monde, à part les clochards qui n’inspiraient pas tant confiance). Ce qu’on a immédiatement adoré furent évidemment les fruits tropicaux, bien plus communs qu’à Buenos Aires. On a commencé notre journée par un jus de maracuya (fruit de la passion) et un de goyave, tout bonnement à se damner!

Emma!

São Paulo donc, si peuplée et riche (en comparaison avec le reste du pays) que presque tous les brésiliens que vous rencontrez hors de leur pays viennent de là-bas. Comme Emma l’a bien résumé dans son carnet de voyage: « 20mio d’habitants [à SP], 200mio dans tout le pays, 30mio de préservatifs gratuits distribués pour la saison de Carnaval ». Les dimensions sont juste inimaginables, les réalités sociales qui accompagnent le pays également. Où l’on vit dans le pays a une sacrée influence sur ce qu’on en pense, évidemment. Je ne peux pas vous faire de résumé du Brésil, parce que je n’y ai simplement pas passé assez de temps, et qu’il est tellement, tellement énorme! A lui seul, il regroupe plus d’habitants que tous les pays du reste du continent, mis ensemble! Je pense que la même conclusion s’applique si on s’intéresse au territoire en km². En fait, l’Amérique du Sud, c’est le Brésil. C’est d’ailleurs comme ça que beaucoup de brésiliens le vivent. Pourquoi apprendre une autre langue quand tu peux communiquer avec 200mio de personnes? Je reprends les mots d’un ami, loin de moi l’idée de caricaturer les brésiliens. C’est plutôt une conclusion logique, qui d’ailleurs est souvent reproduite par ceux qui vivent une sorte d’hégémonie linguistique: l’une des complaintes que j’ai le plus souvent entendues de la part tant des anglophones que des hispanophones est « mais pourquoi n’apprend-on pas (/pas bien) d’autre langue chez moi? je me sens stupide… ». Alors qu’en fait il est assez logique qu’ils n’en apprennent pas ou que peu, ainsi qu’il est logique, géopolitiquement, que les européens en apprennent une ou plusieurs, même s’ils ont l’impression de mal faire le travail eux aussi.

Saõ Paulo

Le Brésil, c’est grand, et c’est extrêmement varié. Si je vous faisais des discours sur les colombiens et les argentins, c’est juste parce que je n’avais pas encore été au Brésil. Là-bas, et notamment à São Paulo ou Rio, la variété est telle que l’on peut être noir, métisse, jaune, blanc et roux, avoir les yeux bleus ou bridés, et être purement brésilien. Le Brésil est un concentré de toute l’histoire et des expériences de l’Amérique du Sud. Les indigènes d’Amazonie. Les colonies d’esclaves et la chaleur de leurs danses. Le christianisme mêlé aux rites locaux. L’exploitation minière. L’immigration, notamment européenne et japonaise (São Paulo est la ville avec la plus grande diaspora japonaise au monde!). Et tous, tous ces millions de personnes parlent portugais. Je ne m’en étais jamais rendu compte à ce point, pour moi le portugais avait toujours été, avant tout, la langue du Portugal et que l’on « parle aussi dans les anciennes colonies ».

Saõ Paulo

Mais regarder une carte et se rendre compte de l’immensité, de l’ampleur du Brésil, redonne un sens des proportions et des réalités linguistiques. Et, encore une fois, nous fait penser à l’impact de la colonisation sur le continent (et du monde, bien sûr, mais surtout du continent). Que serait l’Amérique du Sud si elle n’avait été envahie? Question vaine, évidemment, les implications étant bien trop nombreuses et complexes pour pouvoir se lancer dans des réflexions hypothétiques. Mais la destruction de l’environnement, la corruption des politiques, la discrimination des populations indigènes… étaient-ils inévitables, sont-ils la conclusion évidente d’une globalisation du monde et du capitalisme, quel qu’eût été le destin de l’Europe? Je trouvais ces questions parfois désespérantes, imaginant à quel point nous sommes pris dans des pièges systémiques et la responsabilité des peuples européens pour toutes les souffrances qu’ont vécu les peuples d’autres contrées – à qui je trouve bien facile de dire qu’ils devraient se prendre en main, après avoir saccagé leurs pays et pillé leurs ressources, dont on continue d’ailleurs à profiter. Mais je m’égare.

Adriano, Emma et moi

Avenida Paulista, une grande rue principale fermée les dimanches pour permettre aux Paulistas (les habitants de São Paulo) de pédaler, se balader et écouter des concerts improvisés, serait l’un de nos points de chutes dans la ville, où nous sommes retournées plusieurs fois. C’est là, notamment, qu’après un pique-nique dans un parc qui fut anciennement jardin botanique, au son d’un concert de rock en plein après-midi, et après une inévitable et succulente glace (de qualité absolument italienne!), nous avons retrouvé Adriano, notre hôte de ces jours. J’ai rencontré Adriano au Machu Picchu, lors du trek du Salkantay, et c’était génial de le revoir, dans son élément! Il nous a fait boire des caipirinhas (LE cocktail brésilien, qui se prépare avec un alcool local nommé cachaça, des limes, des glaçons, de la menthe et du sucre – ainsi qu’un tas d’autre fruits pour les variantes caipifruta), manger des coxinhas de frango (beignet au poulet et à la patate, en forme de goutte), des açais (une espèce de glace garnie apparemment non sucrée, constituée de baies d’açaï et appréciée pour sa vertu dynamisante), et quelques autres spécialités. Et, surtout, il nous a emmenées célébrer Carnaval à travers les rues de la ville, parce que « c’est comme ça que les vrais brésiliens fêtent Carnaval, pas comme les riches et les touristes qui vont au défilé ». Parce que oui, c’était Carnaval lorsque nous sommes allées au Brésil… tout était calculé depuis longtemps!

(vidéo: Adriano qui dit en portugais « nous sommes ici au Brésil avec nos amies Emma et Aurora, et Emma va nous dire le plus long nom d’endroit au monde, en gallois » …et elle le fait)

Carnaval à SP fut amusant, ultra-plein de monde (au point que parfois on ne pouvait pas avancer…), arrosé de caipirinhas – achetées à la carte de crédit auprès de gens les vendant au milieu de la rue et indiqué juste par un panneau et même pas de stand -, coloré et plein de baisers volés que l’atmosphère délirante semble autoriser – je parle de ce que j’ai observé, pas vécu, je précise. L’ambiance est électrique, et la fête commence si tôt dans l’après-midi que vers minuit les gens sont déjà morts et rentrent. Ce fut pour nous l’occasion de l’un des moments les plus brésiliens et drôles de nos vacances: tout un groupe de paulistas déchaînés dans le train de retour, musique à fond, chantant et dansant et attirant chaque fois plus de monde, mais tout le monde qui se calmait et se taisait à chaque arrêt pour ne pas attirer l’attention des surveillants qui sont dans les gares. On a dansé, chanté et ri avec eux jusqu’à leur arrêt, une fête improvisée et de toute beauté! Adriano dit des brésiliens qu’ils aiment que l’on ait d’eux la vision de gens qui aiment faire la fête et sont toujours joyeux, même s’ils ne le sont clairement pas toujours. Quoi qu’on pense de cette attitude, c’est sûr que ça rend l’ambiance joyeuse, et qu’ainsi toutes les occasions sont bonnes pour faire la fête. Et, bon sang, ces gens ont la danse dans la peau, c’est fou!

Avec Adriano, nous avons plusieurs fois fêté Carnaval à différents bloquinhos* à travers la ville, et nous sommes également allés voir le district japonais ainsi que Villa Madalena, un quartier un peu bobo et plein de street art, dont le fameux ensemble de rues appelé Beco do Batman. On a aussi pu admirer de nombreuses oeuvres de Kobra (prénom Eduardo), un artiste né à SP et connu dans le monde entier pour ses grandes peintures géométriques et colorées mêlées à des visages expressifs en noir et blanc. J’adore! Et j’adore l’air artistique et la culture vivante qui se respire dans toute la ville, dont l’Europe pourrait parfois s’inspirer. Dans SP, nous avons également visité des marchés d’artisanat et observé de talentueux danseurs de capoiera: une danse qui est née sous l’interdiction de se battre qu’avaient les esclaves, qui ont alors reproduit les mouvements du combat mais sans contact physique, au son d’instruments traditionnels. Bref, on a eu un petit aperçu du Brésil, et le regard d’Adriano a été bien utile pour mieux comprendre ce qu’on voyait. Il fut un super hôte et ami durant ces quelques jours, vraiment génial!

*les blocos sont des rassemblements semi-spontanés de personnes qui défilent ensemble en musique pour Carnaval, parfois autour de chars

Saõ Paulo: oeuvre de Kobra

SP fut sympa, plus que je ne l’aurais cru. Mais Rio, oh Rio… Rio fut saisissante, et je fus là aussi un peu surprise, je ne m’y attendais pas. Je commence avec une anecdote qui me fait beaucoup rire: encore un endroit mal nommé par les européens, et que personne n’a jamais songé à changer. Rio de Janeiro signifie en portugais « la Rivière de Janvier » et s’appelle comme ça parce que le grand homme qui a découvert l’endroit (un premier janvier…) pensait se trouver à l’embouchure d’un fleuve… qui était en fait une baie! Donc après les « cités perdues » qui ne sont pas des cités (Colombie), les « forteresses » qui étaient en fait des cités sacrées (Pérou) et quelques autres, je suis vraiment d’avis que les anthropologues et découvreurs de l’époque auraient mieux fait de réviser leurs copies… !

Rio de Janeiro
Rio de Janeiro

Pourquoi Rio m’a-t-elle plu? Honnêtement, je n’avais jamais été particulièrement attirée, ni par le Brésil, ni par Rio. Mais là où elle a su me charmer, c’est qu’elle a des atouts naturels dont je ne me suis pleinement rendu compte qu’une fois avoir grimpé, parmi les mini singes, jusqu’au sommet d’un gros rocher (Pão de Açucar, le « Pain de Sucre ») et l’avoir observée de haut. Je dus l’admettre, Rio est incroyable: c’est une grande ville en bord de mer, au milieu des montagnes, et entourées par la plus grande jungle urbaine au monde! La vue est simplement unique. Je ne suis normalement pas une grande fan des villes vues de haut, je trouve souvent les vues banales et très semblables des unes aux autres une fois qu’on a vu celles qui sont vraiment uniques. Hé bien Rio est unique, pour les caractéristiques géographiques dont je vous ai parlé. Je veux dire, c’est une ville où l’on peut, à la fin d’une journée de travail, décider d’aller piquer une tête dans les vagues! Vraiment génial… Et on a non seulement vu le coucher de soleil sur la ville, mais également, avant la nuit totale, un spectacle de nuages en mouvement de toute splendeur. Merveilleux!

Rio de Janeiro
Rio de Janeiro
Rio de Janeiro

On s’est également baladées dans la ville, bien sûr. Mais là encore, on s’est retrouvées face au vide dû à la période de vacances et Carnaval, et les rues désertées ont presque un aspect inquiétant. Ce fut déjà beaucoup plus agréable une fois qu’on s’est retrouvées à proximité d’un bloquinho et qu’on a vu des tas de gens passer déguisés de toutes les couleurs. Finalement, entre les chars, la musique assez populaires, et les déguisements, je ne trouvais pas le Carnaval brésilien si différent du fribourgeois (chez moi)… à part peut-être les 30° de différence et les gens qui se déguisent à moitié nus pour éviter de trop briller de transpiration! Ahah! C’est donc Carnaval en été, et dans un pays où les gens prennent s’amuser vraiment très, très au sérieux.

Rio de Janeiro

Au point qu’un jour on a fini emportées dans une fête dans un parc à 14h, au son des tambours et instruments à vent en délire, des tas de gens qui se pressaient, dansaient la samba en trémoussant leurs fesses et en riant: l’un de nos meilleurs moments Carnaval! J’adore l’énergie des brésiliens qui dansent, soit dit en passant, je les trouve géniaux. Ils dansent de façon fluide, joyeuse et instinctive, c’est vraiment beau à voir… et contagieux!

Rio de Janeiro – Corcovado

Un peu plus tôt, arrivées aux escaliers Santa Teresa qui sont entièrement recouverts de mosaïque, nous avons passé plus d’une heure assise à l’ombre à observer les gens passer, déguisés, se prendre en photos sous toutes les formes, poser, manger ou rire. Moment pour le moins sociologique, vraiment intéressant. Oh et puis qu’est-ce que vous croyez? Nous aussi on y a pris des photos ensemble!

Rio de Janeiro
Rio de Janeiro

Et sinon, une autre des vues un peu immanquables de Rio est celle depuis la colline Corcovado, d’où culmine la statue du famosissime Christ Rédempteur. Oui, c’est vraiment très touristique et cher, oui il y a des tas de gens. Mais on avait décidé et accepté qu’au Brésil, nous étions de parfaites touristes, ainsi nous avons pleinement embrassé cette réalité et sommes montées à Corcovado… et nous ne le regrettons pas! La vue est malgré tout très belle et tout est impressionnant. Et puis, peu après, nous avons tout de même eu droit à une dose d’expérience locale, parce que nous avons rencontré Luis, l’ex et ami de mon amie Sarah, de Fribourg. Luis est un carioca, un habitant de Rio, et il a pu lui aussi nous donner des visions plus contrastées de ce que nous avons vu et nous parler un peu de son pays et de sa ville. Il nous a aussi emmenées en balade dans la forêt à l’arrière de la ville, et montré des vues « alternatives » de la statue du Christ et de la ville et les favelas qui grimpent le long des collines (je précise que nous n’avons pas réservé de « tour des favelas » dont les hôtels font la pub presque comme pour un divertissement).

Rio de Janeiro – Corcovado
Rio de Janeiro – favelas

Et il a bien ri quand on lui a dit, plus tard, qu’on buvait une caipirinha à Copacabana plage dans nos nouveaux maillots de bain (je vous ai dit qu’on a embrassé notre identité de touristes!). On a également pique-niqué à la plage voisine d’Ipanema  (et non Empanada, comme Emma avait d’ailleurs compris) et son doux sable blanc, dans la chaude lumière du coucher de soleil. Et, plus tard, nous avons pu aller nous baigner à la lumière de la lune (tout en gardant un oeil sur nos affaires, car ces plages sont très connues pour les vols de nuit).

Rio de Janeiro – vue depuis Corcovado
Rio de Janeiro – Plage de Copacabana

Finalement, la dernière étape de nos vacances ensemble et de notre escapade au bout du monde fut Ilha Grande (à prononcer « ilia grane-dji »), une petite île paradisiaque avant de retrouver la grisaille de nos pays d’origine. Pas de voiture, tout de même pas mal de touristes, mais une eau si transparent et turquoise, des palmiers et la jungle qui couvre la montagne, tel que ça fait rêver même quand on y est. En bus et bateau vers Ilha Grande on a fait la connaissance de Joyjeet, dit Joy, un indien qui étudie dans une école française au Brésil et était en week-end de détente. Il est vite devenu notre nouvel ami, qui a accompagné chaque repas et excursion sur place. Vraiment quelqu’un de génial! On s’est baignés à la plage de sable noir, on a dégusté des sacolé (petites glaces faites maison, que l’on mange dans un fin sachet en plastique qu’on perce à un bout, des saveurs allant de noix de coco, mangue ou fraise-menthe à amande-lait, vraiment succulent, et préparé avec des fruits frais!), et on a fêté l’anniversaire d’Emma le soir sur une jetée en buvant des caipirinhas et en mangeant des gâteaux et desserts achetés en route à un vendeur ambulant qui avait une offre de sucreries digne d’un rêve.

Ilha Grande

On a également fait une rando de 2h à travers la jungle pour arriver à la plage Lopez Mendez, de l’autre côté de l’île, avec Joy et François, un français rencontré au détour d’une crêpe à la farine de tapioca, spécialité locale gourmande. Ce n’est certes pas la plage la moins fréquentée de l’île, parce qu’elle est très connue, mais c’était la plus accessible étant donné le temps qu’on avait et qu’on voulait y passer. Et puis peu de gens font vraiment la rando, beaucoup d’entre eux arrivent en bateau.

Ilha Grande
Ilha Grande

Nous, on a adoré transpirer à travers la beauté de la nature sauvage. Comme on est passés par trois plages avant d’arriver à destination, on a aussi pu se baigner sur des plages entièrement désertes en route, ce qui fut sympa. Et sur place il n’y avait pas non plus tant de monde que ça, on a bien pu profiter de la blancheur du sable, la chaleur du soleil, et la transparence de l’eau, un délice! Pile ce dont on avait besoin pour recharger nos batteries avant de prendre le bateau qui nous ramenait au village (pas d’autre moyen que le bateau ou la rando). Une fois on s’est aussi baignées dans la rivière derrière notre hôtel, d’ailleurs! Tout, durant le temps qu’on a passé ensemble, fut vraiment parfait, on se sera fait de sacrés souvenirs ensemble.

Ilha Grande
Avec Emma et Joy

Et puis voilà, on n’a jamais assez de temps et tout est trop court, il fallait malheureusement déjà saluer Joy et retourner à SP pour qu’Emma prenne son vol pour Londres. En route, on a remonté la Côte Emeraude tachetée de jolies plages où l’on se serait volontiers arrêtées. D’ailleurs on aurait volontiers passé plus de temps à Rio ou Ilha Grande, mais on était finalement les deux contentes de ce qu’on a fait ensemble, tout valait la peine! On a dormi chez des amis italiens rencontrés durant mon Erasmus à Florence, Irene et Lorenzo, et puis il était déjà temps de nous dire à la prochaine. On se reverra probablement dans 13 mois, si pas avant, peut-être à Londres où je me dois d’aller rendre visite à ma fantastique amie, ou ailleurs dans le monde! On disait que notre « histoire d’amour » d’amitié nous ferait probablement nous rencontrer en Antarctique ou sur la lune, pour une prochaine destination chaque fois plus exotique! Ce qui est sûr, c’est que c’est une amitié qui durera, où que nos pas nous mènent, et que nous continuerons à danser, rire, découvrir, savourer, célébrer la vie ensemble. Résumant la situation à merveille, Joy écrivit sur Facebook, peu après nous avoir quittées, cette phrase magnifique: « Je tiens à le préciser, les âmes se reconnaissent entre elles quand elles se sont rencontrées dans des vies antérieures. » A la prochaine, mes chers amis.

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Les filles du soleil

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