Perú – Le Pays des Incas

Máncora

J’ai commencé ma découverte du Pérou avec un peu de plage tout au nord, à Máncora. J’y suis restée quelques jours et y ai fait la connaissance d’un de mes compatriotes bernois, Cuno. Avec d’autres gens de l’hôtel nous avons, entre dégustation du « ceviche » local (poisson blanc cru mariné dans du citron et de l’oignon, succulent et ultra frais!) et papotage sur la plage (je me suis baignée mais l’eau n’est clairement pas à 30 degrés comme au nord de la Colombie), été nager avec des tortues. Expérience un peu spéciale car on n’a le droit de se baigner que dans un périmètre délimité par une barrière flottante et on doit attendre que les tortues viennent nager près de nous, attitrées par la nourriture qui leur est servie (pas nous donc, de la nourriture pour tortues). Mais c’était impressionnant! Je n’avais jamais été frôlée par une tortue, ni n’avais pu en caresser et toucher la carapace ou tête, vraiment particulier et beau comme moment. Ce furent quelques jours au chaud, à la plage, reposants. L’idée était vraiment de donner un peu de temps à mon corps avant de partir à la découverte du Pérou.

Máncora

Ce qui est clair c’est que le Pérou est grand, et il me semble que les distances entre un endroit et l’autre sont plus longues à parcourir en bus qu’en Colombie. Je me retrouve fréquemment à passer 10h ou 15h assise à attendre la prochaine destination, souvent à dormir parce que je prends des bus de nuit – ça permet d’éviter de payer l’hôtel en plus du trajet. Je suis donc partie pour Chachapoyas avec mon nouveau pote suisse, trajet qui entre autre nous fit changer de bus dans une salle d’attente des plus péruviennes; on était les seuls blancs dans le coin et on intriguait clairement autant qu’on était intrigués. Très marrant!

Kuélap

Le but de Chachapoyas était d’aller visiter Kuélap, une ville « Chacha » puis inca (conquise donc), perchée sur une montagne. Des ruines bien plus impressionnantes que la Cité Perdue en Colombie! Étendu, avec des maisons encore presque sur pied et des types de bâtiments différents (ossuaire, lieu sacré, habitations), entouré par un paysage montagneux et de splendides vues, ce site archéologique valait vraiment le détour! J’y ai même aperçu mes premiers lamas non-commerciaux (pas là déguisés et juste pour les touristes comme par exemple en Colombie ou Équateur), trop chouette. En gros le peuple Chacha (prononcé tchatcha) a vécu dans cette ville sacrée -que les espagnols ont faussement identifiée comme une cité fortifiée-, puis en ont été délogés par les Incas (de sacrés colonisateurs eux aussi, aussi relativement violents d’ailleurs), qui ont ensuite été chassés par les Espagnols, qui l’ont laissée à l’abandon parce qu’ils la trouvaient inutile (ils s’en fichaient des portes orientées vers le soleil ou des tombes remplies de preuve que ces peuples pratiquaient déjà la chirurgie).

Kuélap

Le lendemain fut dédié à une visite d’un autre genre: randonnée dans la jungle, en montagne, avec cascade en récompense. Splendide!!! Le genre de vue et d’endroits dont je rêvais en venant en Amérique du sud, je suis gâtée c’est parfait. On a pu s’approcher de la chute de Gocta en deux points, vers le milieu puis par le bas. Là-bas les gens aiment répéter que c’est la 3ème plus haute du monde, à environ 700m (en fait ce serait apparemment plutôt la 16ème). Superbe, avec un chemin panoramique fantastique, j’ai trop aimé! J’ai fait cette marche avec Cuno et Isabel, une allemande super sympa rencontrée à Kuélap, et que j’étais destinée à revoir plus tard.

Gocta

L’expérience suivante fut à nouveau un gros contraste, parce que je suis allée jusqu’en Amazonie! Ça a pris beaucoup de temps, quatre à cinq jours de déplacement aller-retour pour un trek de quatre jours, mais c’était vraiment différent et assez exceptionnel en fait. Et puis, le déplacement incluait 10h de bateau à l’aller et 15h au retour, voyage qui faisait pour moi entièrement partie de l’expérience amazonienne. Je suis partie avec Gaëtan, un breton vraiment cool rencontré à l’hôtel à Chachapoyas et avec qui on a plus ou moins refait la France et le monde en passant d’un minibus à l’autre, puis on a acheté nos hamacs pour le trajet en bateau et on est partis pour l’aventure. On a passé le trajet à moitié sur le toit du bateau au soleil avec deux irlandais musiciens, à moitié posés sur notre hamac parmi les locaux (le bateau lent est l’option un peu moins touristique, le rapide étant plus cher). À midi, alors qu’on avait notre petit pique-nique tout prêt, on a découvert que dans le prix de notre ticket était inclus un repas, que chacun allait chercher en faisant la queue et se faisait servir dans son propre tupperware emmené pour l’occasion (on a dû emprunter, du coup).

Amazonia
Amazonia

Après une nuit dans le village de Lagunas, en pleine coupure d’électricité, nous avons embarqué nos affaires et tout le matériel préparé par notre guide sur une petite pirogue de bois et sommes partis, le postérieur encore sain et sauf, sur une rivière nous emmenant dans le parc Pacaya-Samiria en Amazonie. L’excursion a consisté en un voyage au fil de l’eau, sur une coque de noix avançant à la force de la pagaie (et des bras de notre guide, bien que le dernier jour nous ayons aussi participé). Comme on n’a pas de moteur, on dérange moins les animaux, et en fait la faune est le but principal de pareil trek. On est passés d’une cabane à l’autre, puis retour sur nos pas (enfin, nos coups de pagaie) après avoir rejoint le point marquant le milieu de notre excursion. Nous n’avons malheureusement pas vu d’anacondas ni de crocodiles (la nuit était trop claire quand on est sortis voir ces derniers! Par contre on en a entendu quelques-uns entrer dans l’eau, ce qui rend l’expérience particulièrement excitante). Mis à part ça, ce fut absolument génial et je me suis sentie gâtée de pouvoir voir tellement en un temps si concentré alors que je ne faisais « rien pour » – je ne devais même pas fournir l’effort d’une rando.

River dolphin
Heron
Kingfisher/martin-pêcheur

Le plus remarquable fut évidemment que des dauphins de rivière (un peu difformes, bossus par rapport à l’image qu’on a des dauphins) ont nagé derrière et devant nous pendant un bon moment, à plusieurs reprises! Bon c’est un peu comme l’observation de baleines, il faut être chanceux pour en voir un hors de l’eau, sinon on voit essentiellement le dos dépasser de l’eau lorsqu’ils montent respirer. Mais on en a vu un sauter! (pas de photo, trop rapide) Et c’était impressionnant de les entendre respirer quand le dos était hors de l’eau, c’était vraiment un peu comme un bruit d’inspiration humaine. Vraiment superbe. D’autres mammifères que nous avons eu la chance de voir furent une famille d’une quinzaine de loutres qui nageaient et sortaient leur tête de l’eau en se dandinant pour voir qui faisait le même bruit qu’eux (notre guide), mais aussi un paresseux posé dans son arbre et se fondant si parfaitement dans son environnement que nous avons plusieurs fois soupçonné notre guide de consommer quelque chose de particulièrement puissant permettant à des hallucinations animales de prendre forme parmi les troncs – mais en fait non, il avait raison.

Parrots
Sloth/parresseux

Et puis les singes! Il y en a eu un gros aperçu en passant, et plein de petits s’enfuyant à notre arrivée, mais le plus notable fut le singe hurleur rouge. Le matin, ces bruyants primates s’époumonent en rugissant de façon continue, si fort même au loin que l’on croit que le vent secoue les cimes des arbres. On en a vu un de relativement près (à échelle d’observation de singe), et on a vu passer une famille dans les hauteurs, le petit accroché à sa maman. Au niveau des oiseaux on n’était pas en reste non plus: aigles de près, perroquets (certains nous ont même survolés et d’autres offert un concert criant), perruches (qui volent par deux), de nombreux hérons (grandioses à l’envol de par leur impressionnante envergure), petits toucans (qui vont voler les oeufs des « imitateurs » sous leur nez, enfin leur bec), piverts, martin-pêcheurs, vautours, nombres de volatiles aux noms inconnus mais aux jolis ramages, ce fut un festival plumé et sonore haut en couleurs! Et finalement on a eu droit à des iguanes, des piranhas, plein de poissons péchés par notre guide pour nous nourrir, des chauves-souris, de grosses fourmis, moult moustiques et autres vrombissants néfastes, de bruyantes grenouilles en concert le soir, et probablement l’une ou l’autre bestiole fantastique que j’ai oubliée tant il y en avait.

Amazonia

Incroyable expérience bien plus riche qu’une balade dans un zoo – notamment parce que les animaux sont dans leur habitat naturel et que leur liberté n’est pas entravée. Après, il faut préciser que l’on passe beaucoup d’heures d’observation à attendre de voir quelque chose, assis sur un bout de bois flottant – nos fesses ont bien souffert. Et on s’est aussi pas mal ennuyés car notre guide, bien que gentil et en sachant beaucoup, était non seulement peu bavard mais aussi complètement hermétique à l’humour. On était bien contents de faire cette excursion à deux et non seul/e avec lui!

Woodpecker/pivert

Le retour de Lagunas, seule parce que Gaëtan continuait sur la rivière en direction d’Iquitos, puis de Leticia en Colombie, fut une expérience sociologique de qualité. C’était un trajet en bateau de nuit, tout le monde dormant dans son hamac. Sauf qu’il fallait d’abord que le bateau arrive! L’heure indiquée était « 21-22:00, soyez là à 20:30″… À 23:45 mon hamac était posé et le bateau s’éloignait de la jetée. Leçons de patience… (D’habitude, dans ces situations, je lis sans voir passer le temps, mais j’avais terminé le national geographic trouvé à l’hôtel) La nuit pouvait commencer, en faisant abstraction des diverses lumières qui s’allumaient de temps à autre, de la musique de Noël quelque part dans un angle, et du type qui dormait avec son téléphone sur le ventre, allumé et jouant de la musique… toute la nuit. Assez épique, d’autant plus que le bateau a eu 5h de retard. Bien sûr, personne ne s’agace, ça fait partie des risques inhérents au trajet en bateau lent. Une nouvelle fois, j’ai pu emprunter sa gamelle (son tupperware) à quelqu’un et savourer le très original poulet et riz qu’on servait à tours de bras à midi. N’ayant pas de lecture ni de réseau pour la communication par téléphone, j’ai passé une grande partie du trajet à observer comment les gens occupent leur temps et interagissent. Une chose que j’ai fortement remarquée est à quel point les gens sont… discrets ici.

Amazonia

En fait, et c’est évident étant données les distances que j’ai parcourues mais pas nécessairement intuitif pour des Européens, il y a des différences culturelles marquées entre les péruviens et les colombiens. Je ne parle ici que des peuples avec lesquels j’ai été en contact, mais on m’a déjà parlé d’autres particularités marquées, notamment des boliviens ou des chiliens et argentins. C’est marrant parce que là où j’ai passé deux mois géniaux en Colombie, sans problèmes de compréhension, je me retrouve au Pérou à parfois me demander si c’est mon espagnol le problème. Mais non, plusieurs situations m’ont démontré qu’il y a des fossés liés à des différences de perception que l’ouverture d’esprit (ou mon ouverture à moi) ne parvient pas à combler.

Otters/loutres

A de nombreuses reprises, et je ne me rappelle pas que cela se soit produit une fois en Colombie, je n’arrive pas à faire comprendre ce que je veux à mon interlocuteur péruvien, qu’en retour je n’arrive pas vraiment à comprendre – pour des raisons de fond, de contenu, et non linguistiques. La seule façon qui me permet d’expliquer comment on ne se comprend pas, c’est que j’ai l’impression que les péruviens (généralisation incorrecte bien sûr) essaient d’interpréter ce que je veux afin de mieux résoudre mon problème, et du coup inventent, créent un nouveau sens à ce que je dis (par exemple, plutôt que de me répondre combien de temps il faut de A à B on me demande si je veux pas plutôt aller à C, ou si je n’ai pas envie d’y aller en bus). Répondre sans répondre, fréquemment pour ne pas admettre ignorer la répondre. C’est rigolo, mais souvent aussi un peu frustrant. Et c’est assez fou, je n’avais expérimenté ça qu’en Indonésie et ne m’attendais pas à de telles différences culturelles ici – j’étais bêtement partie du principe que mon image générale de la culture latino-américaine correspondrait à la réalité, ne sachant pas à quoi d’autre m’attendre.

Parrots

Je parle, je parle, venons-en au fait. Je n’ai pas retrouvé au Pérou la « chaleur » colombienne: personne ne m’appelle « ma vie », et les gens ont beaucoup moins tendance à terminer une interaction par « que vous alliez bien »(je me sens souvent un peu trop gentille ou polie du coup, voire bizarre, vu que j’ai pris l’habitude de m’exprimer ainsi). Ils sont aussi plus réservés, selon mon impression, bien qu’ils tutoient automatiquement là où en Colombie c’est l’ « usted » qui était de rigueur (« vous »). Je veux dire par là que les gens ne parlent pas très fort, et je m’en suis entre autre rendu compte sur le bateau, c’est la situation que j’évoquais plus haut. Bien que nous fussions près d’une centaine de personnes à mon étage, le calme et un certain silence ont régné durant tout le trajet, heures de journée comprises. Là où l’on se serait attendu à un joyeux capharnaüm, ce fut en fait un voyage paisible ou les gens ne s’invectivaient pas mais échangeaient tranquillement.

Heron

Si tranquillement d’ailleurs que lorsque mon voisin de hamac s’est mis à me poser des questions et me raconter des choses, j’ai dû le faire répéter à plusieurs reprises avant d’abandonner et de prétendre que j’avais compris, avec un petit rire. Certes, il avait l’accent local de la zone de Lagunas, qui est fort et étrange pour moi (il sonne africain en fait, mais aucune raison à cela, les gens n’étant pas noirs du tout), mais le problème était avant tout auditif. Bien que l’environnement fut très calme, il parlait à une voix tellement basse que même penchée vers lui je n’arrivais pas à l’entendre! Je sais que c’est une particularité au moins locale si pas nationale, parce que lorsque notre guide amazonien croisait la pirogue d’un de ses collègues, ils se murmuraient l’un l’autre même une fois qu’ils s’étaient déjà dépassés et qu’il y avait une vingtaine de mètres entre les bateaux. Alors que Gaëtan et moi entendions à peine ce que le guide nous disait quand ils s’adressait à nous, et que nous étions bien plus bruyants pour nous parler en étant côte à côte que ces deux à plusieurs mètres de distance!

Toucan and Imitators
Red monkey

Cela dit, pour corriger une image que je trouve fausse et qui est véhiculée par les voyageurs venant du sud et arrivant vers la Colombie: non, je ne trouve pas les péruviens peu sympathiques. J’ai presque à chaque étape de mon voyage dans ce pays rencontré un/e péruvien/ne qui avait à coeur de m’aider, de partager un peu de nourriture ou de me faire découvrir son pays, souvent sans que je n’aie sollicité cette personne mais de son propre chef. Il est possible que ce soit plus typique du nord du Pérou, qui est moins touristique et où les gens sont peut-être moins lassés, mais j’ai eu contact avec plusieurs personnes de Lima et Cusco qui ont été/sont tout-à-fait ouvertes et serviables. La différence est plutôt au niveau de ceux qui travaillent dans un domaine en lien avec le tourisme, je trouve. L’impression que l’on essayait de me soutirer le plus d’argent possible, qu’on augmentait les prix à cause de la couleur de ma peau et qu’on ne cherchait pas à être plus gentil que le strict minimum, ne m’a pas lâchée. Encore une fois, je ne parle pas de la population dans son ensemble.

Chacha ruins

Bref. A partir du retour d’Amazonie, j’ai pas mal avalé de kilomètres. Je suis redescendue vers la côte, à Trujillo, et j’y ai retrouvé Isabel, mon amie allemande de Chachapoyas. Ensemble, on a visité le Huacas Mochica, un ancien lieu de vie et lieu sacré de la culture mochica (env. 800 ans après JC, et avant les Incas) situé dans le désert. Toute la côte péruvienne est désertique en fait, le contraste avec l’intérieur des terres, très vert et généralement montagneux, est assez saisissant, d’autant plus après avoir passé quelques jours sur l’eau en Amazonie! La construction était assez grande et surtout impressionnante parce que plusieurs façades possèdent encore les illustrations d’origine, avec la peinture de l’époque! Plus je visite le Pérou, plus je me rends compte que mes rudiments d’éducation (scolaire) sur la culture inca ne me permettent pas de comprendre la complexité de ce qu’a été ce pays pendant des siècles. Je ne me doutais pas qu’il y avait eu autant de peuples rien qu’au Pérou (il y en a un sacré tas)! Jolie visite, jolis moments ensemble.

Chachapoyas
Huaraz

Ensuite, on a pris le bus pour Huaraz, située dans les Andes, loin de la côte désertique. Je voulais absolument y aller car c’est le point de départ du trek Santa Cruz, dans la Cordillère Blanche, dont j’avais beaucoup entendu parler. La région est aussi connue pour ses lagunes et ses glaciers, mais encore une fois des considérations organisationnelles m’ont fait mettre des priorités. C’est pour ça aussi que j’ai fait un trek de trois jours plutôt que plusieurs petites excursions: je voulais une expérience intense et plus radicale! En un sens, j’ai été servie: on est montés jusqu’à 4750m et on a dormi entre 3700m et 4200m, dans des tentes. Autant dire qu’il ne faisait pas chaud! La marche en elle-même n’a pas été un gros défi, la majeure partie du temps était une balade presque à plat, bien qu’on « montait pendant 4h » le deuxième jour, et seule la dernière heure d’ascension demanda vraiment des efforts. Mais quelles vues!!! Les montagnes de roche surmontées de chapeaux enneigés évoquent les paysages suisses, par contre la végétation me rappelait plutôt un peu l’Écosse (l’île de Skye). Tout était évidemment très majestueux, et le meilleur fut le passage du col à 4750m, un peu en-dessus d’une petite lagune d’un turquoise éclatant qui est assez typique de la zone, les lagunes sont comme de petits bijoux qui constellent le paysage montagneux. Splendide!

Santa Cruz
4750m

Sur le plan du confort, ce trek fut probablement l’un des plus gros défis que j’aie eu à relever depuis le début de mon voyage. Les températures dépendaient de l’altitude, et nos tentes étaient tout de même assez rudimentaires (nos guides les recouvraient de bâches en plastique pour nous protéger de la pluie…), les matelas fins et durs et les sacs de couchage pas optimaux. Courtes nuits accompagnés de repas très basiques! Des ânes transportaient tout le matériel, des vivres aux tentes en passant par les bonbonnes de gaz, c’était pratique mais un peu spécial. Et du coup le pain séchait et les légumes n’étaient pas légion. Comme la plupart des explications de notre guide étaient peu claires et ses réponses souvent évasives, et que nous nous sommes d’ailleurs retrouvées à devoir improviser notre départ, avec Isabel et une autre fille, celle-ci a fini par nous raconter une anecdote arrivée à une amie.

Swiss-looking mountain
Santa Cruz pass

Cette dernière attendait un bus qui n’arrivait pas, et elle a demandé à un vieillard qui était dans le coin si le bus allait passer. Réponse de celui-ci: « Au Pérou, tout est possible, rien n’est certain ». Nous avons immédiatement fait de cette citation le slogan de notre trek Santa Cruz! Ces trois jours furent cependant une vraiment chouette expérience, et, comme souvent, les gens avec qui elle a été vécue ont contribué au ressenti général. Isabel bien sûr, Gerardo le mexicain, deux bretons ou encore un couple d’Espagnols physiothérapeutes, Pablo et Patricia, qui baroudent depuis longtemps, toutes ces rencontres font beaucoup voyager. Au terme de mon voyage j’aurai visité bien plus que les pays dont j’aurai traversé les frontières, parce qu’à force de discussions et de gens qui me parlent de la politique, l’histoire ou des paysages de leur pays j’aurai vraiment beaucoup découvert, j’adore ça. Et puis j’adore entendre des histoires de vie différentes, pour encore et toujours me confronter à mes choix et tout remettre en question.

The « Paramount Picture Corporation » mountain
Swiss-like Andes, Santa Cruz

Après Huaraz et ses sommets enneigés au centre du pays, j’ai salué Isabel qui rentrait pour les fêtes et suis partie pour un long voyage en bus de près de deux jours m’amenant à Cusco en passant par Lima mais sans m’y arrêter pour sa gastronomie continentalement connue. C’était ma dernière étape péruvienne, et je comptais bien en tirer le maximum: un trek de 5 jours se terminant au Machu Picchu (à prononcer « matchou pikchou », signifiant vieille montagne en quechua, nom ne datant pas de l’époque inca). Pas de vallée sacrée, pas de montagne arc-en-ciel, ni de visite à Arequipa au pied de son volcan ou au parc national Manu en Amazonie. Pas le temps. Peut-être que je reviendrai une autre fois. J’ai pu connaître un peu Cusco, la ville inca, El Cusco en espagnol ou Qosqo en quechua, signifiant « le nombril du monde ». Nombre des rues et maisons du centre-ville ont été bâties à partir des résidences inca, Cusco étant à l’épisode la capitale de leur empire. On reconnaît l’architecture inca à ses grosses pierres parfaitement imbriquées, à ses murs épais et inclinés afin d’être antisismiques. La ville en elle-même est assez charmante, un peu coloniale et colorée, pleine d’histoires, elle m’a beaucoup plu.

Vote for Acuña
Cusco
Cusco

Pour le trek il fallut partir tôt le matin pour quelques heures de route, puis la marche commença, le chemin Salkantay, de la montagne du même nom. Les deux premiers jours furent absolument superbes. Pure montagne, avec en complément l’ascension d’une colline menant à l’un des plus beaux lacs qu’il m’ait été donné de voir dans ma vie! Le passage du col fut aussi une sacrée expérience, parce que j’ai marché pendant plus de 2h sans m’arrêter pour passer de 4150m à 4600m, un beau défi. Comme durant la plupart de mon voyage, nous avons eu pas mal de chance avec le temps, car malgré la saison des pluies il ne nous a pas vraiment plu dessus mais nous avons par contre eu droit à de splendides paysages nuageux. Niveau confort, par contre, rien à voir avec le trek précédent! Nos tentes étaient à chaque fois installées dans des espèces de villages de camping, protégées par de vrais toits, et nos repas cuisinés par un pro, avec le pop-corn de 17h et un vrai petit festin le dernier jour (avec notamment du ceviche frais et du guacamole). Pas vraiment l’impression d’être à l’aventure dans la nature sur ce coup-là! L’impression s’est prolongée lors des jours 3 et 4, qui sont plus organisés pour encourager les touristes à payer pour des activités supplémentaires (des bains thermaux naturels un jour et un parcours de tyrolienne le lendemain): les parcours sont à plat dans des paysages sans intérêt. Mais ce n’est pas si grave, on passait tout de même la journée ensemble avec l’équipe du trek et on passait de super moments. Et puis est arrivé le dernier jour, celui de la visite tant attendue au magique Machu Picchu!

Salkantay
Aguas Calientes

La veille on a carrément dormi à l’hôtel dans le joli petit village d’Aguas Calientes, atteint en marchant le long des rails du train, seule véhicule qui y arrive (et le trajet vaut environ 80$! ça explique pourquoi on marche). La nuit n’a pas été longue, car il faut se réveiller à 3h30 et partir à 4h pour arriver assez tôt devant la porte au pied de la montagne. Beaucoup de ceux qui montent à la ville sacrée à pieds viennent faire la queue aussi tôt pour tenter d’arriver les premiers aux ruines inca et avoir droit à une vue sans touristes! La porte du bas ouvre à 5h et celle d’en haut la montagne à 6h, soit plus ou moins quand les premiers bus amènent les touristes qui ne marchent pas. Le but est de faire une espèce de course contre ces bus et contre les autres marcheurs pour être premiers dans la file d’attente de la porte du haut. C’est donc ce que nous avons fait, et il me fallut personnellement 38 min de lutte contre moi-même, de transpiration et d’effort à chaque marche de l’escalier de 500m de dénivellation pour ne pas m’arrêter et faire une pause. Une dizaine de gars sont tout de même arrivés avant moi, mais je suis assez satisfaite par cette performance, qu’il y a quelques années je n’aurais pas même pu imaginer être capable de réaliser.

Salkantay
Salkantay

Finalement, notre prouesse physique ne fut pas récompensée parce que le brouillard recouvrait l’ensemble du site lorsque nous avons enfin pu entrer, et que lorsqu’il s’est levé notre guide, ayant déjà commencé sa visite commentée, n’avait aucune envie de l’interrompre, surtout préoccupé par l’idée de finir son job et s’en aller (ce que j’ai jugé d’une grande incompétence et d’un certain manque d’empathie de la part de quelqu’un dont le travail est le tourisme). Mais ce n’est pas grave, nous sommes tout de même restés sans voix face à la beauté des lieux, rendus un peu mystiques par la brume puis baignés de soleil plus tard dans la matinée, au milieu des sommets semblant d’imposants protecteurs naturels. Avis aux intéressés: le Machu Picchu, c’est sportif! Ça monte et ça descend dans tous les sens, et pour ceux qui ne paient pas une fortune en bus et train pour rentrer mais ont un budget de voyageur et marchent il vaut mieux ne pas trop s’arrêter car entre la visite guidée et le temps pour « flâner » pour son propre compte, on a environ 5h sur place avant de devoir se remettre en route. Ce fut suffisant, mais sans repos.

Machu Picchu
Machu Picchu

Nous nous sommes bien baladés à travers le site et jusqu’à une « porte du soleil » avec vue sur l’ensemble de la ville, de haut. Nous avons pris les inévitables photos devant la vue iconique de cet endroit unique au monde, joué un peu avec les lamas et ri de notre état de fatigue, puis il fallût repartir. Entre la descente et la marche le long des rails nous en avons eu pour encore 3h, et enfin nous fûmes « récompensés » par un trajet en minibus pour le retour à Cusco, durant rien de moins que… 6h. Autant dire que l’état de nos pieds et têtes une fois arrivés laissait à désirer! J’ai calculé que ce 5e jour de rando a équivalu à près de 10h de marche non-stop, commençant à 4h du matin, pour un total de près de 90km en 5 jours. Moi qui trouvais les jours précédents un peu trop pépère, j’ai été servie! Mais bon sang ça en a valu la peine. La rando avait commencé avec une quinzaine d’inconnus, elle s’est terminée avec de nouveaux amis, des parties de cartes, de longues discussions, de la photographie, des rires et des moments inoubliables avec, notamment, Adnan le français, Preston l’américain, Adriano le brésilien, Christina l’allemande et le couple irlando-australien de Will et Nic. D’ailleurs, nous nous sommes retrouvés le lendemain pour une petite tournée des bars de Cusco, chacun portant un ou l’autre attribut de Noël, tradition apparemment irlandaise avec des règles à suivre et beaucoup d’éclats de rire. Comme j’ai passé le 24 et le 25 décembre dans un bus, je considère que le trek de Salkantay fut mon cadeau de fin d’année à moi-même, et que j’étais au Machu Picchu et à Cusco avec des amis pour Noël.

Machu Picchu
Machu Picchu
Machu Picchu

Ainsi s’est terminé mon (presque) mois au Pérou. Dans la sueur, la joie et la bonne humeur dans un endroit magnifique. J’ai quitté la joyeuse compagnie en pleine tournée des bars pour aller récupérer mes affaires  à l’hôtel et prendre mon bus pour la Bolivie, et j’ai à nouveau enchaîné 2 jours de bus, destination: Santa Cruz à l’est de la Bolivie, où arrivait Emanuele le 26 décembre! De Cusco, j’ai atteint La Paz (capitale la plus haute du monde, à 3660m d’altitude) en passant par le lac Titicaca (le plus haut lac navigable au monde, à 3800m d’altitude), puis ai pris une correspondance pour Santa Cruz. Encore une fois je me suis retrouvée seule blanche dans le bus, c’est vraiment chouette! Je suis heureuse de ne pas voyager en avion et manquer ces endroits de pure authenticité. Mon moment préféré fut quand j’avais acheté mon repas à l’emporter à La Paz et que, jus de mangue dans un sachet plastique (avec une paille) en main, j’ai pu aller prendre mon bus 3h plus tôt que ce que j’avais acheté en ligne car le gars de la billetterie qui devait imprimer mon ticket m’avait proposé de prendre un autre bus. Je me suis dit que j’adore l’Amérique du Sud, sa flexibilité et ses jus de fruits!

Salkantay friends
Salkantay friends
Salkantay
Salkantay

Bien sûr que durant un voyage aussi long on se retrouve souvent à se dire qu’on est chanceux, à se rendre compte de la beauté d’un endroit ou d’un moment, à avoir l’impression d’être presque drogué tant on apprécie un paysage. Étonnamment, l’un des plus forts de ces moments de « pleine conscience » m’a frappée durant un trajet en minibus: j’étais allongée sur la couchette arrière, le soleil m’éclairait à travers la vitre le long de laquelle tombait la poussière de la route, on venait de mettre les jambes dans l’eau glacée de la rivière après plusieurs heures de descente dans la jungle, et j’étais juste parfaitement heureuse, malgré la musique trop forte et l’apathie de mes compagnons de rando.

Salkantay

C’était un moment parfait, au milieu d’une collection de moments inoubliables, et je ne pouvais que me dire que je souhaitais un bonheur aussi (paradoxalement) simple mais aussi fort à tous ceux que j’aime. Je ne dis pas qu’il faut un billet qui fait traverser l’océan pour être heureux, car ce moment ressemblait très fort aux sensations que j’éprouvais à l’époque avec les scouts, mais je suis assez convaincue que la nature est un puissant facteur de bonheur, qu’elle sait nous ancrer dans le moment et activer en nous la capacité d’observation de sa simple mais majestueuse beauté nous rappelant notre place dans ce monde et à quel point la vie est précieuse. La vie moderne a tendance à nous en éloigner un peu trop par rapport à ce dont je suis certaine que nous avons besoin. Si vous le pouvez, n’oubliez pas de vous offrir des escapades dans la nature, quelle qu’elle soit!

Foggy Machu Picchu
Foggy Machu Picchu

Maintenant que je suis sortie du pays, inévitablement je me mets à faire des bilans. J’ai beaucoup aimé le Pérou et sa variété de ruines et de peuples pré-inca. J’ai aimé, en quelques trajets de bus, passer du désert le plus plat aux montagnes des Andes ou à la jungle amazonienne. C’est vrai qu’avec le temps je me dis que, chez nous aussi, si on prend le bus pendant presque une journée entière, on peut changer drastiquement le paysage qui nous entoure. Mais c’est aussi ma chance et la beauté de ce voyage, d’avoir le temps de le faire, justement. J’ai pas mal vu le nord, même s’il y a différentes choses que j’aurais encore voulu voir, et j’ai carrément dû être sélective pour le sud. Mais ce n’est pas grave, j’ajuste gentiment mon approche du voyage. Le but n’est pas de finir frustrée parce que je n’ai pas bien pu connaître les pays que j’ai vus… Je sais que pour bien connaitre un pays, il faudrait deux à trois mois minimum. Je me suis offert ce luxe au début, mais comme je tiens à voir des choses très différentes dans divers pays, je cherche maintenant simplement à collectionner les plus beaux moments possibles. Je vois bien que d’avoir passé un mois au Pérou m’en a donné une bonne idée générale, mais je n’ai pas créé de lien affectif avec le pays, ne connais que très peu son histoire ou sa politique, n’ai pas eu le temps de bien rencontrer des gens d’ici.

Machu Picchu
Machu Picchu
Cusco
Cusco

J’ai par contre remarqué qu’ici aussi, il y a toujours un autocollant (dans le bus ou sur la devanture d’un magasin) pour te rappeler que Jésus t’aime. Et les gens ont des fausses dents assez spéciales: c’est comme si la dent, vue de face, était encadrée d’un fil d’or. Et sinon je dirais que le Pérou mérite tout de même son petit paragraphe concernant la nourriture. Alors. Il faut avant tout accepter que la base de la nourriture en Amérique du Sud est riz + poulet + patates, c’est ce qu’on trouve dans les restos simples et pas chers, ou en bord de route. Et très, très peu de légumes. Parfois, au lieu des patates, ce sera de la yuca (manioc), ou du camote (patate douce). Le long des côtes on vous servira du poisson, en Colombie il y aura presque toujours aussi du plantain frit (grosse banane qui goûte peu) voire une salade de chou et une tranche de tomate. Dans les environs d’une rivière vous aurez droit à de le truite (le plus souvent frite). Au Pérou, on trouve cependant une variété de choix un peu plus grande. Le lomo saltado est du boeuf sauté avec des légumes et de l’oignon, il y a de la friture de poisson, le cuy est du cochon d’inde frit (pas goûté), ou on sert encore des steaks ou de la pizza d’alpaca (pas eu le temps de goûter). Il y a l’incontournable et délicieux ceviche (poisson cru mariné dans du citron et de l’oignon), de renommée internationale. Et puis j’ai repéré qu’on trouve aussi du flan jusque sur les marchés, et même du riz au lait! Bref, le Pérou n’est pas mal doté culinairement et plaira aux gourmands, bien que la variété de fruits proposés pour les jus soit plus réduite qu’en Colombie. On m’a dit que la Bolivie est terrible concernant la nourriture, je prépare mon estomac…!

Foggy Machu Picchu
Foggy Machu Picchu

Je compte tout de même terminer cet article avec quelques aspects ethno-historiques. Tout d’abord, je me suis rendu compte de l’ampleur de mon ignorance quand j’ai compris que les incas étaient contemporains à notre Moyen-Âge et non, comme je le pensais, aux pharaons égyptiens (ça c’est apparemment plutôt les Mayas, je prends note). Du coup le Machu Picchu n’est même pas aussi vieux que les édifices de l’empire romain! La civilisation inca a donc commencé vers 1200 dans les environs de Cusco, et s’est ensuite étendue le long de l’océan Pacifique et de la cordillère des Andes, du sud de l’actuelle Colombie jusqu’à l’Argentine et le Chili, en passant par l’Equateur, le Pérou et la Bolivie. L’empire inca était gouverné par le Sapa Inca, le chef suprême, et avait pour particularité d’intégrer les populations qu’il conquérait en leur permettant de préserver leur identité culturelle (langage, religion). Les Espagnols arrivèrent en 1534 et conquirent les Incas à leur tour, dans une guerre qui dura quelques années.

Cusco
Cusco

Un siècle plus tard, la population inca, décimée, était passée de 12-15 mio à environ 600’000 membres. C’est en 1821 que le pays obtint son indépendance du royaume espagnol, libéré comme la Colombie par Simon Bolivar. Cependant, comme mon guide du trek de Salkantay nous a fait remarquer, le pays ne fut réellement libre qu’en 1969 lorsque fut aboli le système favorisant les propriétaires terriens (espagnols). Voila qui donne une petite idée… je n’en sais pas beaucoup plus et ai déjà dû vérifier quelques infos sur Wikipedia donc je ne vais pas m’appesantir sur le sujet. Par contre ce que je trouve intéressant est de savoir qu’un grand nombre (une majorité, je crois) de péruviens (et de boliviens!) parle encore quechua, même comme langue maternelle, et qu’il y a apparemment encore 42 langues indigènes à travers le pays. Mon guide de Salkantay a d’ailleurs dit se considérer inca, et l’histoire péruvienne est apparemment marquée par une longue résistance inca (pas seulement militaire mais aussi culturelle). Pour moi qui voyait les incas comme une civilisation millénaire disparue depuis longtemps, ce fut un choc intellectuel des plus instructifs!

Pour plus de photos du nord du Pérou (Máncora, Kuélap, Gocta), clique ici (pas eu le temps d’en télécharger plus)

Lecture en cours: Los Ríos Profundos (Les Rivières Profondes) de José María Arguedas (péruvien)

Machu Picchu
Machu Picchu

2 commentaires Ajoutez le votre

  1. Manu dit :

    Great narrative on your experience travelling. I am not sure why we Europeans always keep being ‘surprised’ by the the diversity and depth of culture, history and way of life in far away places, and tend to simplify things. It would be interesting to see how a ‘Peruvian’ would see how their culture and history was described in this text.

    1. admin dit :

      I believe that it’s pretty normal to simplify things, and that it’s not a specifically European attitude. When I told South American friends about this, several answered me that they have the same vision of Europe (though I’d say that our soft power made sure they’re more informed about our continent than we are about theirs). We’re less concerned by what’s geographically far, and many of us tend to be like that. However, I think that as Europeans we have a heavy past and that it’s our responsibility toward people of the countries we’ve invaded and whose resources we still exploit to this day to have some awareness about their realities in order to get rid of our (neo-)colonialist point of view.

      I hope I don’t offend Peruvians or others with what I say, I obviously only present a very partial and subjective vision of Peru and Latinoamerica.

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