Les vertes plaines de Mongolie

Notre première semaine a été consacrée au désert de Gobi, qui représente le tiers du territoire mongol, au sud du pays. Le reste du voyage nous amènera au centre, puis au nord. Du désert, on passe aux plaines et aux lacs. Malgré toute la route qu’on avale, nous manquons l’ouest, où vivent des tribus de l’ethnie kazakh qui élèvent des aigles, et l’est, la région des steppes, où vont seulement 3% des touristes chaque année.

En sortant du Gobi, on a traversé encore quelques zones différentes, dont une recouverte d’un arbuste qui ne pousse que dans ce désert, très résistant et aux racines très profondes. À mesure qu’on s’approchait de la fin du désert, la verdure a réapparu. On pouvait vraiment observer directement le lien entre eau et vie, la transition entre l’aridité totale et l’apparition de plantes permettant la présence d’animaux. Après n’avoir plus vu aucune vie, on a aperçu des gazelles courant au loin, puis des chameaux, les chevaux et oiseaux ont réapparu, ainsi que des espèces de petits suricates. Soudain, les collines deviennent des monts, les parois rocheuses nous offrent des vues imprenables, toujours balloté•es sur la piste.

Vallée d’Orkhon

Hormis les beaux points de vue ça et là, les journées se ressemblent beaucoup. On roule longtemps sur les pistes cahoteuses de la steppe et à travers des ruisseaux. C’est une expérience très tranquille. On est posé•es dans la voiture, on lit, on fait des siestes, c’est presque méditatif. On passe des journées vraiment particulières, on voit extrêmement peu d’autres êtres humains que nos deux guides et les quelques membres de familles nomades qu’on rencontre le soir – sauf les quelques nuits qu’on passe dans des camps de touristes, où il y a un tout petit peu plus de monde. Ce qu’on voit le plus ça reste de la nature, de façon absolument constante. Et tellement d’animaux, partout, tout le temps! Ça c’est vraiment génial.

Ranger les vaches

Les troupeaux sont très grands et très nombreux – de fait, la gigantesque surface de la Mongolie a la capacité d’accueillir et nourrir 25 millions de bêtes, capacité dépassée depuis longtemps puisqu’il y a aujourd’hui en Mongolie 60 millions de chevaux, vaches, chèvres, moutons et chameaux! Ces animaux ne sont pratiquement jamais sauvages, ils appartiennent toujours à une famille. Mais sans barrières c’est presque comme s’ils étaient entièrement en liberté. C’est vraiment beau à voir. Ils sont rassemblés pour la traite (parfois à pied, d’autres fois à cheval, souvent aussi sur une moto péclotante!), mais le reste du temps ils broutent au gré de leurs envies, à travers le gigantesque paysage.

En sortant du Gobi on a pu observer encore quelques beaux canyons et formations rocheuses vers la falaise d’Uush, apercevoir des mouflons au loin, et improviser encore une petite randonnée. Le soir, on a appris à faire des raviolis. Le lendemain, on a visité un site funéraire et pu admirer des pétroglyphes gravés sur des pierres volcaniques (beaucoup de représentations de bouquetins). Ce qui était impressionnant c’est que ce site, comme plusieurs endroits visités dans le cadre de ce tour, ne se trouve pas dans notre guide touristique. Mais il n’était pas non plus protégé ou même indiqué! Quiconque pourrait venir et emporter un bout d’histoire. La Mongolie n’est non seulement pas encore entièrement découverte, mais on nous a aussi expliqué qu’à force de collaborer avec des universités étrangères, iels ont fini par comprendre que les artefacts prêtés ne revenaient pas. Maintenant, iels les gardent donc en attendant d’avoir acquis les technologies nécessaires pour mener leurs propres recherches.

Après avoir roulé même parfois hors de toute piste, on est finalement définitivement sorti•es du Gobi. L’indice clair: de l’herbe! On a retrouvé des paysages beaucoup plus familiers, des collines et de la verdure. Partout dans le pays, l’activité principale des familles nomades reste l’élevage. Ce sont les berger•es ultimes, qui déménagent 4x par an (entre trois sites différents, le même site au printemps et en automne) en emportant avec elleux leurs troupeaux de centaines et même milliers de têtes ainsi que leurs yourtes. Iels vont là où les températures sont plus clémentes, là où les animaux peuvent se nourrir.

Chute d’Orkhon

Bergères et bergers signifie aussi une alimentation très centrée sur le lait sous toutes les formes possibles. On a pu observer les différentes étapes de préparation de plusieurs produits laitiers, et on a goûté de tout: du thé au lait, du lait de chamelle ou de jument fermenté (airag, seule chose avec laquelle j’ai eu un peu de peine en Mongolie car je n’aime jamais trop les produits fermentés), du beurre, une crème très proche du beurre, une espèce de crème double onctueuse et liquide, du yogourt au sucre, des snacks de yogourt pressé et séché, de la vodka distillée à partir de lait de vache, des bonbons mous ou durs au petit lait, de la glace au yogourt, et j’en oublie encore probablement. Autant dire qu’on est ravi•es!

Les différentes étapes de préparation: au premier plan la cuisson du lait, à l’arrière le petit lait du yogourt est égoutté dans les sacs blancs en dessus d’un bidon

On coupe le yogourt séché
Les morceaux de yogourt séché sont remis à sécher
Vodka distillée à partir de lait de vache

Quant au mouton, certes pas l’unique viande consommée mais tout de même passablement omniprésente, on l’a mangé avec des pâtes, du riz, de la purée, en beignet plat à l’estomac de mouton, en raviolis frit ou à la vapeur, en soupe, avec des champignons ou des poivrons, en émincé ou à même l’os, et j’en passe. On a aussi pu assister (vegans s’abstenir) à l’ensemble du processus de dépeçage d’un mouton, très intéressant et beaucoup moins sanglant et horrible qu’on aurait cru (et que ce qu’on pratique dans nos abattoirs!). On a généralement mangé mieux dans les yourtes de nomades que dans les restaurants où on s’est parfois arrêté•es. Et les yourtes sont toujours aussi magnifiques, plus ou moins équipées selon les moyens de la famille: la télé est assez répandue, les panneaux solaires encore plus, parfois il y a même une machine à laver!

Vallée d’Orkhon

À mesure qu’on s’approchait de la vallée d’Orkhon, on a vu pour le plaisir de Marc réapparaître les arbres! Les vertes plaines sentant bon le thym sauvage et même parsemées d’edelweiss (!) sont devenues notre quotidien, souvent encore en communion avec le vent. On a aidé à ranger les vaches, puis les chevaux – il faut les rassembler puis séparer les petits des mères afin de pouvoir traire celles-ci. En ce qui concerne les chevaux, c’était aussi pour les petits des premières expériences de dressage. Ils sont en effet semi-sauvages et en liberté tout l’hiver, et il s’agit de les domestiquer un peu afin de les habituer à l’équipement permettant de les attacher voire les monter. Autant dire qu’il faut avoir confiance quand plusieurs chevaux se lancent presque au galop face à soi, et qu’il faut crier en levant les bras pour les décourager de sortir de l’enclos.

Ranger les chevaux

En route, on a pu observer de près un magnifique aigle, un grand vautour, et on voit vraiment très souvent des écureuils de plaine traverser celle-ci en courant (pas très discrètement vus les faucons et milans qui rôdent) puis aller se terrer dans un trou. À partir de la vallée d’Orkhon, traversée par la rivière du même nom et entourée de monts et collines, on s’est habitué•es à voir également des yaks – mes amours! Les bébés yaks sont particulièrement craquants. On s’est endormi•es au chant du coucou, aux hennissements des chevaux, aux bêlements des moutons et chèvres, aux grognements des yaks. Assez idyllique et 100% nature!

Traversée de yaks

Les journées ont parfois été un peu vides, soit parce qu’on n’a presque fait que rouler soit parce qu’on était au campement avec un peu trop de pluie pour aller marcher. On a lu et dessiné, on s’est lavé•es dans la rivière -– on a rédigé des posts de blog. Avec une famille, on a même joué une partie de volleyball! Et le soir de mes 34 ans, notre adorable chauffeur a décidé que ça ne se passerait pas sans une célébration au bord du feu (un gigantesque brasier à côté de la rivière) et de la bonne vodka! Quand des éclairs ont zébré la nuit, il a dit que le ciel me fêtait aussi. Que demander de plus!

Petit bûcher d’anniversaire
Voilà Aude, assez de vodka

C’était devenu vraiment compliqué avec notre première interprète, plutôt âgée et qui semblait faire un tour pour ses propres vacances plutôt qu’être motivée à faire son travail et nous interpréter les discussions, nous accompagner en randonnée, même juste parler avec nous. Sans mentionner le fait qu’elle ne savait pas grand-chose sur les endroits que nous visitions. Heureusement, un nouveau guide jeune et sympa l’a remplacée, ce qui nous a beaucoup soulagé•es pour les deux semaines restantes, qui sinon nous auraient pesé, comme enfermé•es dans une cage (la jeep) avec cette femme qui nous agaçait toujours plus.

À notre grand désarroi, et sans lien aucun, le changement d’interprète s’est accompagné de changement de chauffeur. En effet, le Lonely Planet nous avait prévenu•es que les pannes étaient inévitables, et ça n’a pas manqué. La super jeep du très chaleureux Jagaa est restée en panne à la traversée d’une rivière, et nos chemins ont dû se séparer. Sa conduite pro, son sens de l’humour et ses anecdotes nous ont immédiatement manqué, ainsi que sa voiture – celle qui l’a remplacée est plus fancy mais moins confortable et chouette, et le chauffeur plus taciturne et pas du tout polyglotte.

Fin de route pour la jeep Galloper II

Gros changements en milieu de voyage, donc. Nous voici maintenant en pleine remontée vers le nord avec Nagy, notre nouveau guide/interprète ayant appris le français… à Lausanne, où il a vécu pendant 4 ans avec sa mère jusqu’à ses 18 ans… quand le SEM a débarqué chez lui à l’improviste pour le renvoyer en Mongolie, en l’absence de sa mère et alors qu’il n’avait que 60 centimes sur lui. Imaginez le traumatisme. Le racisme institutionnel suisse a encore de beaux jours devant lui.

Il est maintenant comptable l’année et guide en été (beaucoup de mongol•es travaillant dans le tourisme sont surtout actif•ves l’été, les hivers à -40 degrés attirant passablement moins de touristes). Être guide ou chauffeur, ça veut dire être constamment dans la nature, mais ça veut aussi dire manquer la cérémonie de remise de diplômes de sa fille, manquer l’anniversaire des 3 ans de son fils. On n’en apprécie que plus leur travail précieux – contrairement aux autres pays que j’ai visités, la Mongolie est telle que je n’imaginerais pas voyager sans leur aide!

Monastère de Thuvken

Heureusement pour nous, Nagy marche volontiers et d’un très bon pas (un peu trop bon pour que j’arrive à le suivre, Marc et ses grandes jambes ont moins de peine!). Avec lui, on a été visiter le très beau monastère bouddhiste Thuvken, niché dans une montagne, auquel on n’accède que via une randonnée à travers la forêt. Nagy a pas mal étudié l’histoire de son pays, voyager avec lui est très intéressant. Le soir de cette petite rando, on dormait dans un camp de touristes près d’une source chaude, avec jacuzzi privé devant chaque yourte.

Vallée d’Orkhon

Derrière ses airs luxueux, ce camp est victime de ce qui caractérise de nombreux hébergements dans divers pays d’Asie: se vouloir plus fancy qu’on n’a les moyens de construire et maintenir. Les finitions ne sont pas très propres, certains matériaux sont plutôt cheap, bref c’est à la fois classe et un peu mal fait. Dans cette même idée, l’eau de la source étant à environ 60 degrés, il faut attendre qu’elle refroidisse avant de pouvoir entrer dans le jacuzzi. Mais alors qu’on nous avait dit que celui-ci devrait être rempli pour une certaine heure, il ne l’a été qu’environ 2h après. On a bien essayé, mais c’était vraiment trop chaud pour s’y baigner. Quand la température fut encore trop haute mais vaguement supportable, on a pu en profiter juste un petit moment avant que la soirée se termine. Leur plus gros argument de vente n’a finalement pas été vraiment réalisé, et ça nous a vraiment fait rire.

Très joli en théorie…
…mais vraiment trop chaud pour y rentrer!

La traversée du centre de la Mongolie continue, avec les enfants bergers à cheval, la campagne régulièrement tachetées de yourtes blanches, les milans qui nous survolent de près, les troupeaux qui somnolent en travers du chemin et qui prennent tout leur temps pour se lever et se déplacer. Sur la piste, bien cabossée, on roule entre à 20km/h et au mieux 40km/h au mieux (entre 40km/h et 60km/h sur les routes goudronnées!), ce qui explique que des distances de 140km prennent souvent plus d’une demie-journée à parcourir. De temps à autre, on traverse un village ou une bourgade aux toits colorés de bleu, vert, jaune, orange, rose. Alors on sort nos téléphones et on cherche le réseau, car souvent le soir nous sommes complètement hors de portée. On profite de ces rapides moments de connexion pour envoyer les messages préparés plus tôt, recevoir les différentes notifications et poster des photos sur Instagram. Puis on s’éloigne et on est à nouveau déconnecté•es, pour notre grand plaisir.

La grand Genghis Khan